GRUNBERG Philippe, "A propos de l’étude « Le Baclofène en vie réelle en France entre 2009 et 2015"

A propos de l’étude « Le Baclofène en vie réelle en France entre 2009 et 2015. Usages, persistance et sécurité, et comparaison aux traitements des problèmes d’alcool ayant une autorisation de mise sur le marché

4 mois après une modification de la RTU Baclofène sur les conseils d’un comité scientifique clairement identifié, dans le sens d’un allègement très net, L’ANSM décide de modifier à nouveau cette fameuse RTU limitant la posologie maximale à 80 mg/j. C’est ce qu’on appelle un violent retour de manivelle dans la « figure » de tous ceux qui, médecins et patients s’imaginaient tranquillement pouvoir bénéficier bientôt de ce médicament avec une demande d’AMM déposée par le laboratoire Ethypharm.
Sur quels arguments se basent les experts de l’ANSM pour décider unilatéralement, sans consulter le comité d’experts ad’ hoc, de contraindre la RTU dont de toute façon personne ne se soucie  vraiment?
Une étude CNAM/INSERM, sur des chiffres de 2009 à 2015 visant à :
1 . Étudier la population traitée,
2. évaluer la persistance du traitement,
3. Évaluer la sécurité du baclofène.

Parmi les tonnes de chiffres, dont l’étude intime confine plutôt au vertige et à l’indigestion, ce qui est intéressant est d’observer comment ils sont triturés et ce qu’on veut leur faire dire : sortir ceux qui vont dans le sens de ce qu’on veut prouver, masquer ou noyer ceux qui vont dans un autre sens.
Ainsi que trouve-t-on dans cette étude ?
Il serait fastidieux de revenir sur tous les biais possibles en ne regardant que des chiffres sur un temps donnée. J’ai reconnu sur certains tableaux les astérisques (de 1 à 4) bien connus des médecins qui reçoivent 4 fois par an leur SNIR et qui savent la fiabilité de ces chiffres qui attribuent régulièrement des actes de radiologie, de chirurgie ou d’obstétrique à des MG qui n’en font jamais.

Je vous livre ici les perles tirées de ce texte et mes commentaires associés :

  • Page 11 :« Méthodologie : Ont été identifiés les patients débutant un traitement par Baclofène, qui devaient :

– Avoir eu un remboursement index de Baclofène entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2015, sans aucun autre remboursement de Baclofène dans les 3 années précédentes. (…) exit donc les patients qui ne se sont pas fait rembourser comme c’était la loi avant la RTU (2014)

Ne pas avoir été exposés aux traitements de problèmes d’alcool avec AMM

(Acamprosate, Naltrexone, Nalméfène, Disulfiram) dans les 3 années précédant le

remboursement index de Baclofène. alors que c’était une condition préalable à l’inclusion d’un patient dans la RTU. Certes la RTU a été un échec, mais cela fait quand même 7000 patients, traités par des médecins impliqués (il se sont inscrit dans la RTU) qui sortent du lot.

  • Page 19 : L’étude compare la morbi-mortalité de 2 populations, une qui prend du baclofène à des doses croissantes, l’autre qui prend les autres traitements de l’alcool. Or les populations ne sont pas semblables : Les baclofènes sont plus âgés, ont plus de cancer, plus de démences, et moins de pathologie hépatiques. De même les patients prenant des dosages > à 180 mg/j sont plus souvent traités par des médicaments psycholeptiques (tableau 8, p.23). (On notera le charme désuet de ce terme de psycholeptiques à la place de neuroleptiques).
  • Page 24 : « …La persistance d’un traitement est un indicateur particulièrement pertinent, reflétant l’intérêt du patient pour le traitement en intégrant les dimensions d’efficacité (un traitement perçu comme inefficace ne sera pas poursuivi) et de tolérance (un traitement mal toléré sera moins souvent poursuivi). Il s’apparente aux critères de jugement globaux ordinairement retenus dans les essais analysés « en intention de traiter » ou utilisés dans les essais pragmatiques. ». Mais pourquoi on s’acharne à faire des essais randomisés en double aveugle alors qu’il suffit d’analyser l’observance pour évaluer en même temps l’efficacité et la tolérance d’un médicament. Non mais franchement !!!!
  • Page 26 : La durée entre 1ère et 2è délivrance est noté de 30j pile (tableau 10) qui est la durée maximale de prescription du baclofène. Or dans les 1ers temps il n’est pas rare de revoir les patients à 3, 7, voire 15j. D’où sort donc ce chiffre qui met le doute sur la fiabilité des autres ?
  • Page 34 « ..à des doses fortes supérieures à 180 mg/j, les risques, notamment de

décès, sont particulièrement élevés et concernent principalement les intoxications, l’épilepsie, et les morts inexpliquées.. ». Le tableau 13 (p.36) mentionne 1 intoxication , 0 maladie neurologique, 2 morts mal définies ou non précisée sur les 175 480 patients « persistants »

  • Page 39 : « …En supposant que les relations entre l’exposition au traitement et les évènements étudiés soient causales dans la population étudiée de moins de 70 ans et sans comorbidités sévères sélectionnée pour l’analyse, l’utilisation du Baclofène, quelle qu’en soit la dose, aurait été responsable de 3 morts et 33 hospitalisations supplémentaires pour 1000 personnes-années exposées par rapport aux traitements autorisés des problèmes d’alcool. Utilisé à fortes doses (à plus de 180 mg/j), le Baclofène aurait été respectivement responsable de 10 morts et de 116 hospitalisations supplémentaires pour 1000 personnes-années exposées à ces doses par rapport aux traitements autorisés des problèmes

d’alcool..» Donc on étudie 2 populations non comparables, on observe des « coïncidences » on suppose qu’il y a causalité et on annonce des chiffres de morts pour faire peur. Vive l’EBM !!! Sackett doit se retourner dans sa tombe.

  • Page 41 : Limites de l’étude : « … Si les estimations nécessaires pour calculer la dose moyenne journalière sont probablement adéquates pour mesurer un effet dose, elles ne permettent pas de définir précisément des seuils de risque et les résultats présentés avec les catégories de doses retenues (inférieures à 30 mg/j, 30 à 75 mg/j, 75 à 180 mg/j et supérieures à 180 mg/j) sont à interpréter avec précaution ». Donc on ne peut pas définir de seuil de dangerosité mais l’ANSM décide de fixer à 80mg la dose maximale autorisée dans la RTU.

A aucun moment on ne parle d’efficacité d’un médicament contre une maladie mortelle et donc de rapport bénéfice risque. Peu importe que la dose de 80 mg soit efficace ou pas, c’est la dose max autorisée, indépendamment des études déjà réalisées. Certes l’absence de publication officielle de l’étude BACLOVILLE nous handicape pour répondre à ces allégations fumeuses. La comparaison aux études antérieures (à savourer p.39, un bijou de mauvaise foi) ne mentionne aucun des travaux de Philippe Jaury et Renaud de Beaurepaire. Le nom de O. Ameisen n’est même pas cité.

Au Total, le Baclofène existe. Il est un outil supplémentaire de lutte contre une maladie alcoolique qui fait 50 000 morts par an en France. Il doit être manié avec précaution mais son profil d’effets indésirables graves est connu et bien moindre que beaucoup d’autre médicaments comme les anti cancéreux, les anti-coagulants. La formation à son utilisation est importante et mérite mieux que ce débat idéologique dont on espère l’origine éloignée de sordides conflits d’intérêts financiers.

Dr Philippe GRUNBERG
Médecin généraliste
Membre du collectif MGAddictions
Membre du RESAB
Responsable d’un CSAPA généraliste
Investigateur BACLOVILLE