Contre analyse d’un groupe de chercheurs

Douze enseignants-chercheurs, qui ne souhaitent pas à ce stade rendre publique leur contre analyse dans son intégralité, ont fait parvenir à l’ANSM une analyse de 8 pages que nous résumerons ainsi (le plus fidèlement possible, sans commentaire ajouté) :

 

Les conclusions du rapport de l’étude (du CNAMTS sur laquelle se base l’ANSM pour fonder sa décision) sont en contradiction avec les analyses statistiques de la même étude.

La décision de l’ANSM va impliquer le non-remboursement des prescriptions à doses élevées, ce qui rend plus difficile l’accès à ce médicament généralement actif à des doses supérieures à 80 mg et contribue à accroître les inégalités sociales de santé.

La RTU était sensée courir jusqu’en mars 2018 et l’ANSM déclarait en juin 2013 : « Le traitement de l’alcoolisme constitue un enjeu majeur de santé publique qui a conduit l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à encourager le développement d’essais cliniques portant sur le baclofène dans le traitement de cette maladie. Dans l’attente des résultats de ces études, et afin de sécuriser l’accès au baclofène dans le traitement de la dépendance à l’alcool, l’ANSM a instruit et élaboré une RTU. […] Deux essais cliniques multicentriques sont en cours en France. Dans l’attente de leurs résultats, et après analyse des données actuellement disponibles, l’ANSM a considéré que le rapport bénéfice/risque de ce médicament pouvait être présumé favorable sous certaines conditions, et vient donc d’octroyer une RTU. »

Des données précliniques sont également en faveur d’un effet du baclofène dans le mésusage de l’alcool.

Le baclofène agit en tant qu’agoniste direct des récepteurs GABA-B. Par conséquent ses effets de plus en plus importants à mesure que la dose augmente, jusqu’à saturation des récepteurs.

Concernant l’étude CNAMTS :

  • la comparaison de la réponse à différents traitements de plusieurs cohortes ne peut se faire que lorsque les cohortes ne diffèrent pas de façon significative à la mise sous traitements, or ici il y a des différences flagrantes entre les cohortes (tableaux à l’appui, différences notamment sur l’indice de Charlson). Les comparaisons sont scientifiquement impossibles, elles sont à l’origine de biais considérables dans l’étude.
  • les ajustements de calcul de risque ont porté sur des variables grossières qui méconnaissent de nombreuses sources de biais résiduels non identifiés
  • le rapport laisse à penser que les doses prescrites en fin de traitement ont été assimilées par erreur à la dose quotidienne moyenne
  • l’ANSM ment lorsqu’elle écrit que « 80 % des 213OOO patients traités en vie réelle par baclofène entre 2009 et 2015 le sont à des posologies inférieures à 80 mg/jour » : elle ne retient que la dose de « fin de traitement », très éloignée de la dose moyenne en début et moyen terme de traitement
  • il est impossible de savoir si les variations de doses chez un même patient ont été prises en compte en raison de l’imprécision de l’étude, et les facteurs de confusion dépendant du temps ne peuvent être écartés
  • la méthode de catégorisation des sous-groupes n’est pas rigoureuse
  • le communiqué alarmiste de l’ANSM repose sur une catégorisation fausse et des résultats scientifiquement invalides
  • il est logique que les patients qui ont besoin des plus fortes doses au long court soient les plus atteints sur un plan physique et psychique
  • l’étude ne révèle aucun nouvel effet indésirable, en revanche elle révèle un plus grand « intérêt du patient pour le traitement, intégrant les dimensions d’efficacité et de tolérance »
  • le rapport mentionne les limites propres à cette étude, notamment l’absence de toute donnée directe sur la sévérité de l’alcoolisme et sur la consommation d’alcool et leur évolution sous les traitements comparés
  • l’alcoolisme est la deuxième cause de mortalité évitable en France, cette mortalité varie selon les comorbidités initiales, les modes et volumes d’absorption, les manifestations psychosomatique, les conséquences sociales, familiales, professionnelles, médico-légales : tous ces éléments doivent être pris en compte dans l’évaluation du rapport bénéfice – risque du baclofène
  • fournies par les CPAM sur la base des ordonnances présentées au remboursement et des hospitalisations, les données sont trop spartiates pour l’évaluation des risques et de l’efficacité

En conclusion :

Le niveau de rigueur scientifique requis pour exploiter des données scientifiques n’est pas atteint dans ce rapport. Les analyses ne sont rigoureuses qu’en apparence, elles sont en réalités partiales et biaisées.  Les méthodes statistiques ne sont pas connues. Les auteurs, anonymes, confondent association et établissement d’un lien de causalité et ne prennent aucune précaution sur les risques de biais. Par conséquent ce rapport ne répond pas aux exigences d’une publication scientifique.

L’ANSM va même plus loin que les auteurs du rapport en présentant les conclusions de l’étude comme des faits tandis que les auteurs de l’étude conditionnent leur validité à l’absence de biais et une causalité réelle entre prise du traitement et survenue d’incidents de santé.

L’application à l’extrême du principe de précaution aboutit ici à un effet pervers et paradoxal en ce qu’il désinforme quant aux bénéfices du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme.
Une erreur manifeste d’appréciation du risque (CE, 12 avril 2013, Association coordination interrégionale Stop THT et autres : il appartient au juge « de vérifier que l’application du principe de précaution est justifiée, puis de s’assurer de la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en oeuvre et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution ») et une méconnaissance des principes généraux de mise en œuvre de précaution (Communication de la Commission européenne sur le recours au principe de précaution /*COM/2000/0001final*/ : proportionnalité, non-discrimination, cohérence, examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action et l’examen de l’évolution scientifique) pourraient être opposés à la décision de l’ANSM.

La mesure prise par l’ANSM le 27 juillet 2017 ne peut se justifier par l’interprétation des données présentées dans le rapport ne paraît pas justifier la mesure prise par l’ANSM le 27 juillet 2017. Elle risque de priver un très grand nombre de patients d’un traitement au rapport bénéfice – risque notable. Il est nécessaire de faire procéder à des études de meilleure qualité.

 

Auteurs de la contre-étude  :

Amine Benyamina, professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’université Paris Sud

Olivier Cottencin, professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’université de Lille

Maurice Dematteis, professeur d’addictologie à l’université de Grenoble

Philip Gorwood, professeur de psychiatrie à l’université Paris Descartes

Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’université Paris Descartes

Philippe Jaury, professeur de médecine générale à l’université Paris Descartes

Christophe Lançon, professeur de psychiatrie à l’université Aix-Marseille

Michel Reynaud, professeur émérite de psychiatrie et d’addictologie à l’université Paris Sud

Benjamin Rolland, maître de conférences en addictologie à l’université Lyon 1

Didier Sicard, professeur émérite de médecine interne à l’université Paris Descartes, président honoraire du comité consultatif national d’éthique

Nicolas Simon, professeur de pharmacologie à l’université Aix-Marseille

Florence Thibaut, professeur de psychiatrie à l’université Paris Descartes