DE BEAUREPAIRE Renaud – Synthèse

Renaud de BEAUREPAIRE – Synthèse Baclofène

 

Le baclofène est une molécule développée dans les années 1960 pour le traitement de la spasticité (contractures musculaires) en neurologie. Les effets thérapeutiques du baclofène dans le traitement de la dépendance à l’alcool ont été mis en évidence progressivement, d’abord par l’expérimentation animale (1-3), puis chez l’homme avec des faibles doses qui n’ont montré qu’un effet modéré (4-5), et enfin avec la démonstration d’un effet clair et indiscutable des fortes doses – ou du moins des doses adaptées à chaque patient, certains n’ayant besoin que de faibles doses et d’autres de fortes, ou très fortes doses (6-11). On considère que jusqu’à 80mg/j la dose est faible, que la dose est forte entre 80 et 300mg/j, et que la dose est très forte au delà de 300mg/j. Les études randomisées en double aveugle contre placebo qui ont utilisé des doses adaptées à chaque cas montrent que la dose moyenne nécessaire pour un effet thérapeutique est de l’ordre de 160mg/j à 170mg/j (9,10), ce qui signifie qu’environ la moitié des patients ont besoin d’une dose supérieure à 160-170mg/j. Une étude observationnelle a aussi montré que 24% des patients ont besoin d’une dose supérieure ou égale à 300mg/j (11). Cette question de dose est au centre des débats, parce qu’une étude récente de la CNAMTS suggère que les fortes doses pourraient être la cause d’une mortalité plus élevée que les faibles doses ou que les autres traitements classiques de la maladie. Et ce sont les résultats de cette étude qui ont conduit l’ANSM en juillet 2017 à limiter brutalement la prescription de baclofène à 80/j dans le traitement de la dépendance à l’alcool. Cette limitation a eu des conséquences dramatiques chez des dizaines de milliers de patients abstinents et stabilisés avec des doses supérieures à 80mg/j, les exposant à une rechute pour la plupart.

 

Le traitement de la dépendance à l’alcool par le baclofène est très particulier, il ne ressemble à aucune autre prescription de médicaments. Pour des raisons inconnues, il existe une extrême variabilité dans la dose nécessaire d’un patient à l’autre, certains patients, comme on l’a dit, n’ayant besoin que de faibles doses alors que d’autres ont besoin de fortes ou très fortes doses. Il s’agit peut-être d’une question pharmaco-cinétique (12), mais d’autres causes sont aussi vraisemblables (13). La conduite du traitement consiste à augmenter progressivement le baclofène jusqu’à ce que le patient éprouve une indifférence à l’alcool. L’indifférence à l’alcool est une sensation particulière, unique dans la sémiologie médicale, et décrite pour la première fois par Olivier Ameisen en 2005 (6,14). Pour atteindre cet état d’indifférence, on augmente progressivement les doses, mais cette progression est souvent bloquée par des effets secondaires. Les effets secondaires rendent le traitement par le baclofène souvent très difficile (15). La plupart des effets secondaires du baclofène sont bénins et spontanément résolutifs, mais certains sont potentiellement dangereux, comme les crises d’épilepsie, les troubles de l’humeur (manie, dépression avec risque de suicide), la somnolence et la confusion mentale (sources potentielles d’accidents : chutes, accidents de la circulation, accidents professionnels). Epilepsie et troubles de l’humeur sont rares (de l’ordre de 1% pour la manie, bien inférieurs encore pour l’épilepsie et le suicide), alors que somnolence et confusion sont fréquents. La plupart de ces effets indésirables sont évitables quand le traitement est bien conduit. Le prescripteur de baclofène doit prendre un certain nombre de précautions lors de la prescription, et un problème majeur avec le baclofène est que ces précautions ne sont souvent pas prises, soit parce que des médecins ignorent les contraintes de surveillance qu’implique un traitement par le baclofène, soit parce que des patients ne suivent pas les consignes médicales et prennent leur traitement d’une façon irrégulière ou anarchique.

 

Ces difficultés dans la conduite d’un traitement par le baclofène sont connues depuis très longtemps, c’est-à-dire depuis la mise sur le marché du baclofène en France en 1974. Autrement dit, les questions de dose et d’effets secondaires sont parfaitement connues et répertoriées par les neurologues qui prescrivent du baclofène depuis plus de 40 ans dans le traitement de la spasticité (16). Au point que, pour éviter de donner de trop fortes doses de baclofène par voie périphérique, les neurologues ont développé une forme de baclofène qui s’injecte directement dans le cerveau (perfusion intrathécale) à l’aide d’une pompe placée en sous-cutané. Parmi les effets indésirables les plus graves du baclofène on cite souvent le suicide (Comité Technique de Pharmacovigilance, 2013)(17). Outre le fait que le suicide est exceptionnel (moins d’un cas sur 1000), il faut insister sur le fait que la fréquence du suicide chez les personnes alcooliques est environ 100 fois supérieure à celle de la population générale (18), et dans aucun cas de suicide d’une personne traitée par le baclofène il n’a pu être mis en évidence le fait que ce serait le baclofène qui aurait déclenché les idées suicidaires. Néanmoins, l’idée que le baclofène pouvait provoquer des suicides a largement été diffusée dans les médias, entretenant un sentiment de suspicion vis-à-vis de ce traitement. Concernant les autres effets indésirables dangereux du baclofène, ils peuvent presque toujours être prévenus quand le traitement est bien mené. Mais, comme mentionné précédemment, il arrive souvent que le traitement ne soit pas mené de la façon souhaitable, ce qui expose à des accidents.

 

Le 27 juillet 2017, l’ANSM décide de limiter la prescription de baclofène à 80mg/j, exigeant des patients qui prennent plus de 80mg de diminuer leur dose (cela concerne plus de 40 000 personnes abstinentes stabilisées à des doses supérieures). Cette décision a été prise en s’appuyant sur une étude de la CNAMTS (associée à l’INSERM) qui montre que, comparativement aux médicaments classiques, le risque de mortalité est augmenté de 50% chez les patients qui prennent entre 80 et 180mg de baclofène par jour et de 121% chez ceux qui prennent plus de 180mg/j. L’étude de la CNAMTS a été très critiquée sur le plan méthodologique (voir lettre des universitaires à l’ANSM). La principale critique étant que dans l’étude sont comparés un groupe de patients prenant un traitement classique auquel ils semblent répondre, à un groupe patients à qui on donne du baclofène parce qu’ils sont résistants à tous les traitements (pendant longtemps le baclofène a été donné à titre compassionnel à des patients résistants à tous les traitements, donc beaucoup plus malades) ; en termes de mortalité il est logique que les patients les plus malades soient ceux qui meurent le plus, cette étude enfonce une porte ouverte ; en terme d’imputabilité, rien ne permet d’imputer l’excès de mortalité au baclofène, c’est d’abord à la gravité de la maladie qu’il faut imputer la mortalité la plus importante. Mais à ce jour, malgré l’évidence de biais dans la méthodologie et l’interprétation des résultats de l’étude, la décision de l’ANSM n’a pas été modifiée, persistant donc dans la mise en danger de la vie d’autrui.

 

 

Références

 

  1. Cott J et al. Suppression of ethanol-induced locomotor stimulation by GABA-like drugs. Naunyn Schmiedebergs Arch Pharmacol 1976;295:203-209.
  2. Daoust M et al. GABA transmission, but not benzodiazepine receptor stimulation, modulates ethanol intake by rats. Alcohol 1987;4:469-472.
  3. Colombo G et al. The GABA(B) receptor agonists baclofen and CGP 44532 prevent acquisition of alcohol drinking behaviour in alcohol-preferring rats. Alcohol. 2002;37:499-503.
  4. Addolorato G et al. Ability of baclofen in reducing alcohol craving and intake: II–Preliminary clinical evidence. Alcohol Clin Exp Res 2000;24:67-71.
  5. Addolorato G et al. Baclofen efficacy in reducing alcohol craving and intake: a preliminary double- blind randomized controlled study. Alcohol Alcohol 2002;37:504-508.
  6. Ameisen, O. Complete and prolonged suppression of symptoms and consequences of alcohol-dependence using high-dose baclofen: a self-case report of a physician. Alcohol Alcohol 2005;40:147-150
  7. Rigal L et al. Abstinence and ‘‘low-risk’’ consumption 1 year after the Initiation of high-dose baclofen: A retrospective study among ‘‘high-risk’’ drinkers. Alcohol Alcohol 2012;47:439-442.
  8. de Beaurepaire, R. Suppression of alcohol dependence using baclofen: a 2-year observational study of 100 patients. Front Psychiatry 2012;3:103.
  9. Müller CA et al. High-dose baclofen for the treatment of alcohol dependence (BACLAD study): a randomized, placebo-controlled trial. Eur Psychopharmacol 2015;25:1167-1177.
  10. Jaury P. Bacloville: Clinical efficacy study of high-dose baclofen in reducing alcohol consumption in high-risk drinkers. ISBRA, Berlin, 2016.
  11. de Beaurepaire R. The use of very high doses of baclofen in the treatment of alcohol dependence: a case series. Front Psychiatry 2014;5:143.
  12. Marsot A et al. High Variability in the Exposure of Baclofen in Alcohol-Dependent Patients. Alcohol Clin Exp Res 2014 Feb;38(2):316-21.
  13. de Beaurepaire R. Individual adjustment of baclofen dosage to treat alcohol dependence. In: Baclofen: A New Tool in the Fight Against Alcoholism, pp.9-24. Sunrise River Press, Forest Lake, 2017a.
  14. Ameisen O. Le dernier verre. Denoël, Paris, 2008.
  15. de Beaurepaire R. Baclofen in the treatment of alcohol dependence: indications, contraindications, and adverse effects. In A Holt, M Vaughn (Eds) Prescription Drugs: Global Perspectives, Long-Term Effects and Abuse Prevention, pp.13-36. NOVA Press Science, 2017b
  16. Smith, C.R., LaRocca, N.G., Giesser, B.S., and Scheinberg, L.C. High-dose oral baclofen: experience in patients with multiple sclerosis. Neurology. 1991;41:1829-1831.
  17. Comité Technique de Pharmacovigilance. Effets indésirables du baclofène dans le traitement des addictions. Suivi National de Pharmacovigilance : année 2012, page 23, avril 2013.
  18. Murphy GE, Wetzel RD. The lifetime risk of suicide in alcoholism. Arch Gen Psychiatry 1990;47:383-92