Lettre ouverte des Membres du comité scientifique spécialisé temporaire "RTU baclofène dans le traitement de la dépendance à l’alcool" réuni par l’ANSM

Baclofène : « Le danger des doses élevées n’est pas établi »

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La nouvelle étude de l’ANMS révèle que le baclofène, utilisé pour traiter l’addiction à l’alcool, peut être nocif pour le patient et augmenter le risque de décès. (SERGE POUZET/SIPA)

Des médecins réagissent aux préconisations de l’ANSM, qui souhaite restreindre la posologie de médicament dans le traitement de la dépendance à l’alcool.

Anne Crignon

Publié le 14 juillet 2017 à 13h42

  • Pas plus de 80 mg par jour de baclofènepour les alcooliques : la nouvelle  recommandation de l’Agence du médicament (ANSM) inquiète les addictologues qui ont trouvé un allié thérapeutique précieux avec cette molécule. Cette décision intervient à la suite de la parution d’une étude rendue publique le 3 juillet.

Réalisé par l’ANSM, la Caisse nationale d’assurance maladie et l’Inserm, ce travail porte sur la dangerosité du Baclofène à haute dose : risque majoré d’hospitalisation et multiplication des décès par 2,27. Le problème est que cette étude semble établir un lien de causalité entre la prise de baclofène et ces effets délétères. Or la méthodologie utilisée par ces chercheurs permet de montrer une association, mais aucunement un lien de cause à effet. Une explication alternative est d’ailleurs possible : d’autres études montrent que les patients recevant les plus hautes doses sont les plus gravement atteints, fragilisés par des années d’intoxication.

Les praticiens ne prescrivent pas de fortes doses d’emblée mais procèdent par palier en fonction du dialogue avec le malade. Ils savent depuis 2008, année où la prescription de ce myorelaxant pour soigner l’alcoolisme a commencé, que le sur-mesure s’impose, ils constatent aussi que c’est avec de doses élevées, en moyenne entre 160 et 180 mg, soit bien au delà des 80 requis par l’agence désormais, que le buveur  parviendra – peut être – à l’indifférence face à l’alcool. En 2014, leur pratique a été validée par l’agence du médicament d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU).

Pour ces raisons, les médecins de terrain contestent les conclusions tirées de l’étude. Cinq d’entre eux adressent au directeur de l’ANSM, Dominique Martin, une lettre ouverte. Ils demandent que la mesure soit suspendue. Restreindre drastiquement  la posologie leur semble injustifié. Il faut donc s’attendre à ce que, dans l’intérêt de leurs patients, de nombreux psychiatres, addictologues, généralistes ou gastro-entérologues continuent de prescrire les doses fortes et nécessaires. Bien sûr avec les précautions qu‘ils s’imposent.

Voici leur lettre ouverte :

« Monsieur le directeur général,

L’étude CNAM-INSERM-ANSM qui vient de paraître à propos du baclofène et sur laquelle vous vous appuyez pour limiter la dose maximale du baclofène à 80 mg dans le cadre de la RTU que vous avez mise en place, appelle plusieurs commentaires.

1. Les auteurs n’en sont pas connus.

  1. Il n’est pas dit si la méthodologie a été établie a priori et déposée, ou si elle s’est adaptée en cours de route et a été modifiée a posteriori.
  2. Le plan d’analyse statistique n’est pas fourni.
  3. Les auteurs de l’étude font des hypothèses et des interprétations vite assimilées à une imputabilité, ce qui est impossible avec ce type d’étude qui n’établit que des associations, en l’occurrence selon une méthodologie discutable.
  4. Deux critères fondamentaux, la gravité de l’intoxication alcoolique et les comorbidités psychiatriques, n’ont pas été pris en considération : ce sont deux variables confondantes majeures au regard des risques évalués.
  5. De ce fait, la comparabilité des quatre groupes n’est pas assurée. De plus, comme le montrent au moins deux études de suivi déjà publiées, les participants ayant eu besoin de doses élevées de baclofène à un moment ou un autre de leur traitement sont en général plus gravement dépendants, ce qui ne peut pas être évalué par ce travail.
  6. Enfin, un autre biais important concerne les différents groupes baclofène. Il n’est pas dit clairement comment ils ont été définis. Un patient dans le groupe de plus de 180mg a eu une prescription de plus 180mg à un moment donné du traitement, mais pendant combien de temps, et pendant combien de temps a-t-il reçu une prescription de doses plus faibles ? Ceux des autres groupes ont-ils eu à un moment donné une prescription de doses supérieures à 180 mg ? Depuis quand durait la prescription à telle ou telle dose quand est survenu tel ou tel événement ? Quelle a été la dose moyenne prescrite pour chaque patient des différents groupes ? L’évolution des doses prescrites est très variable dans le temps en fonction des patients, si bien que définir trois groupes paraît simplificateur, voire artificiel.

    Toutes ces interrogations sont légitimes, participent du débat scientifique et méritent des réponses. Malgré le flou qui entoure cette étude, il en a été conclu à l’existence d’un danger important des doses élevées de baclofène, ce qui n’est pas établi tant que les biais potentiels n’auront pas été éliminés.

    Ces conclusions ne nous paraissent pas justifier à ce jour une décision de limitation à 80 mg de la prescription de baclofène car cette décision ne tient aucun compte des données d’efficacité montrant l’intérêt des doses supérieures à 80 mg.

    Il est nécessaire de discuter et d’affiner ces données, et surtout de mener des études dont la méthodologie soit plus adaptée à la question de la sécurité du baclofène. Les nombreuses études cliniques menées par plusieurs équipes à travers le monde sont à cet égard beaucoup plus rassurantes.

    Veuillez recevoir, monsieur le directeur général, l’assurance de nos respectueuses salutations.

Francis ABRAMOVICI,
Xavier AKNINE,
Bernard GRANGER,
Paul KIRITZE-TOPOR,
Claude MAGNIN

Membres du comité scientifique spécialisé temporaire « RTU baclofène dans le traitement de la dépendance à l’alcool » réuni par l’ANSM.